11 novembre 2006

Crash Airbus Sainte-Odile : les lacunes du jugement

Une lecture critique du jugement (disponible ici en pdf) rendu le 7 novembre par le tribunal de Colmar dans l'affaire du crash de l'Airbus A 320 au Mont Sainte-Odile réserve quelques surprises. Incohérences, contradictions, contre-vérités grossières, oublis surprenants... Nous relevons quelques exemples.


Un oubli sur un point essentiel. Le débat devait porter, s'agissant des causes initiales, sur le fait de savoir si les systèmes embarqués, notamment ceux liés au VOR et au DME (mesure de distance) avaient donné une position géographique correcte dans le plan horizontal. A l'étranger, toutes les compagnies avaient pris des mesures en raison de défaillances connues de ces systèmes, qui avaient entraîné des équipages à naviguer ailleurs qu'à l'endroit où ils se croyaient (heureusement sans montagnes !). En France aucune mesure n'avait été prise. On a même caché ces défaillances aux équipages (on a été discret en France sur ce point, mais on trouve l'information au Canada). Toutefois, on a fini par prendre ces mesures de précaution en France... le 7 février 1992, quelques jours après le crash du Mont Sainte-Odile ! Ces faits ont été ignorés par le tribunal dans son jugement.

Sur ce même volet, essentiel, on relève une contradiction incroyable. Le tribunal estime que si la descente ne s'est pas déroulée au bon endroit, c'est en raison d'une confusion des pilotes dans les choix de descente. Il invoque la personnalité des pilotes pour retenir cet argument. Mais... ce même tribunal reconnaît qu'à l'issue de l'instruction, à l'ouverture des débats, s'agissant du fonctionnement du DME (système qui mesure les distances horizontales par rapport à des balises au sol et qui fournit aux pilotes leur position horizontale), une défaillance de ce système ne peut être écartée (page 83 du jugement) :

"Bien que posée dès le début de celle-ci, à l'issue de l'information judiciaire, cette question n'est pas tranchée en dépit du fait que le deuxième collège d'experts a été nommé expressément pour tenter d'y répondre.
La question va donc se reposer de manière complète lors des débats.
"

Et le tribunal ajoute qu'il ne sera pas plus avancé à l'issue des débats (page 85 du jugement) :

"Ils émettent cependant, dans le cadre de leur expertise, l’hypothèse d’un dysfonctionnement de DME qui, affichant une distance plus courte pouvant faire croire à l’équipage que l’avion est à une altitude trop élevée par rapport à la distance estimée du seuil de piste, incite le pilote à afficher volontairement un taux de descente très important.
Cette hypothèse qui sera étudiée restera cependant non tranchée à l’issue d’une expertise distincte diligentée sur cette question.
"

Enfin, en page 94 du jugement, il conclut sur ce point :

"A l’audience, ces questions de très haute technicité sont largement débattues, les parties demeurant sur leurs positions sans qu’un rapprochement de celles-ci intervienne et sans que le tribunal soit en mesure de trancher entre des approches expertales contradictoires." 

Quelle incohérence sur ce point capital ! Ceci réduit à néant le jugement. Si le tribunal ne peut se prononcer sur les informations de position horizontale données à l'équipage, comment peut-il en conclure que c'est une erreur des pilotes dans le choix du taux de descente qui a conduit à la catastrophe et non le fait qu'ils se croyaient ailleurs qu'ils n'étaient en raison d'une défaillance du système de navigation horizontale ?

On trouve aussi quelques contre-vérités flagrantes. Un exemple qui amène à se demander si ce jugement n'a pas été tout simplement rédigé par le service communication d'Airbus : "Il faut relever que l’ergonomie du cockpit de l’A320, devenu un standard depuis, a été particulièrement pensée, réfléchie, travaillée."

"Devenu un standard depuis"... Tellement standard que Boeing, avec son 777, n'a pas du tout suivi Airbus (couplage des manches, rôle de l'informatique dans les commandes de vol, informations fournies aux pilotes...). Et le 777 est un succès comparé à l'équivalent d'Airbus. De surcroît, Boeing persiste avec son futur 787, qui s'annonce déjà comme le plus gros succès de l'histoire de l'aviation dans cette catégorie, pendant qu'Airbus est à la remorque, pour ne pas dire dans les choux, avec son 350 qui joue l'Arlésienne. Les juges se sont totalement discrédités en écrivant une telle bêtise.

On pourrait poursuivre et continuer à relever d'autres "curiosités" dans ce jugement, mais est-ce bien utile ? 

Ainsi, la relaxe générale s'explique parfaitement. Ceux qui connaissent bien l'affaire dans les milieux de l'aéronautique ne cachent pas que des prévenus ont fait savoir que s'ils étaient condamnés en qualité de seuls lampistes, exécutants de méthodes imposées qu'ils ne pouvaient contester ou modifier, par ignorance ou par peur, ils "feraient du foin" sur tout ce qui a été passé sous silence au tribunal.

A ce sujet, a-t-on prononcé une seule fois le mot "Habsheim" au procès ? Pas une seule fois (ou alors tellement doucement que personne n'a entendu !). Il y avait pourtant des leçons à tirer du fait qu'un précédent avait eu lieu. A-t-on évoqué les autres accidents ou incidents graves ? A-t-on prononcé le nom de ce pilote dont la vie a été brisée parce qu'il en sait trop... Silence complet !

Dommage. En effet ce pilote a déjà fait admettre par la justice qu'en matière d'accidents d'Airbus, les délinquants se trouvaient au parquet. Incroyable mais vrai ! C'est ici et , avec des documents incontestables. Il a aussi démontré beaucoup d'autres choses.

Il n'est pas inintéressant d'ajouter qu'un témoin devait être entendu, cité par l'association des victimes. Paul-Charles Poustis, commandant de bord d'Air France avec cinq mille heures sur Airbus A 340 qui a été suspendu de vol pour avoir répondu aux questions du quotidien Le Parisien à la suite du crash de Toronto, alors qu'il est normalement protégé par son statut syndical. Au dernier moment, le président de l'association des victimes et l'avocat de l'association ont refusé de le faire entendre. Pas de vagues, pas de vagues...

Peut-on parler de justice quand on voit de telles incohérences et contre-vérités sur des points essentiels, quand on voit que celui qui en sait trop et le démontre sans équivoque est passé aux oubliettes et quand on constate que ce sont des "délinquants" qui sont chargés de représenter la société au tribunal et de poursuivre... leurs complices !? Faut-il s'étonner qu'aucun véritable responsable et coupable n'a été inquiété, la justice se bornant à faire semblant de poursuivre quelques lampistes avant de blanchir tout le monde après quinze ans ?

Le parquet avait quand même requis des peines. Il dispose de dix jours pour interjeter appel.

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